Compte rendu de FNC Explore 2022 – 5–16 octobre 2022



FNC EXPLORE


Compte rendu rédigé par :

Philippe Bédard

Bien que les festivals virtuels semblent être maintenant chose du passé, le public de Montréal peut se compter chanceux d’avoir accès au Festival du Nouveau Cinéma (FNC), un événement qui, depuis 2015, propose une sélection d’œuvres immersives et interactives. Cette année, le FNC s’associe pour une deuxième fois au Centre PHI pour présenter sa sélection, qui comprend 13 œuvres de réalité virtuelle. Celles-ci sont présentées à Montréal pour la durée du festival, soit du 5 au 16 octobre 2022.

Une version anglaise de ce compte rendu est publiée sur XRMust

Le meilleur de la sélection

Tout juste sorti du festival de Venise avec le Grand Prix du Jury, From the Main Square, de Pedro Harres, était sans doute le projet le plus attendu de la sélection. Ce court métrage d’animation présente un conflit entre différentes factions d’une ville en pleine expansion. L’histoire commence très tranquillement avec les premiers peuples du territoire assis autour d’un feu, mais le tout passe vite au chaos alors que l’industrialisation effrénée et la polarisation entre des partis opposés de la population culminent en une fin sanglante. 

Derrière l’apparence simple des croquis et l’absence de dialogues se cache un récit troublant et malheureusement d’actualité, notamment dans le Brésil natal du réalisateur. Le succès de From the Main Square est d’autant plus impressionnant qu’il s’agit du projet de fin d’études de Pablo Harres, alors étudiant à la prestigieuse Filmuniversität Babelsberg Konrad Wolf (qui nous avait notamment donné l’excellent Rooms, de Christian Zipfel, présenté au FNC en 2018).

From the Main Square (Pedro Harres)

Le très primé documentaire On the Morning You Wake, coproduit par Archer’s Mark et Atlas V, relate les événements du 13 janvier 2018, quand tous les habitant.e.s d’Hawaiʻi ont reçu une alerte au missile balistique. Le projet fait partie d’une campagne d’impact qui vise à sensibiliser les gens à la réalité encore très actuelle des menaces nucléaires. Réalisé par les mêmes équipes qui nous ont donné Notes on Blindness (présenté au FNC en 2016), On the Morning You Wake continue de montrer comment la réalité virtuelle peut servir à documenter le réel et à traduire des expériences qui sortent de l’ordinaire.

Finalement, Plastisapiens est une œuvre qui a déjà fait ses preuves lors de son passage au festival de Tribeca en juin dernier. Réalisée par Miri Chekhanovich et Edith Jorisch, Plastisapiens propose une exploration surréaliste d’un futur où la race humaine aurait évolué en réponse à l’exposition aux microplastiques. Le projet est à la fois méditatif et ludique, nous invitant à incarner de nouveaux corps non humains et à explorer les limites de notre humanité.

Plastisapiens (Miri Chekhanovich et Edith Jorisch)

Panorama 360

Considérant que près de la moitié du programme FNC Explore 2022 est constituée d’œuvres 360°, il ne faut pas s’étonner que certaines des meilleures œuvres de la sélection soient présentées dans ce format. On compte parmi celles-ci Ceci n’est pas une cérémonie, un premier documentaire en réalité virtuelle d’Ahnahksipiitaa (Colin Van Loon). Présentée en première au festival Sundance en janvier, la vidéo 360 propose le récit deux hommes qui représentent, à travers leurs témoignages, l’ensemble des victimes des violences coloniales au Canada. Tantôt empreint d’humour noir, tantôt accusateur, le film demande au public de devenir le « registre humain » des histoires qu’on lui a racontées, de sorte à s’assurer que ces atrocités ne tombent pas sous silence. Produite par les studios interactifs de l’Office national du film du Canada (ONF), l’œuvre circule présentement à travers le pays

Ceci n’est pas une cérémonie (Ahnahksipiitaa)

Montegelato (Davide Rapp, 2021) est basé sur un concept très simple qui est toutefois merveilleusement exécuté. Le projet reprend des images des 180 films, séries télé et publicités qui ont été tournées devant les fameuses chutes Montegelato, près de Rome. Ces séquences sont disposées dans une sphère à 360°, superposant l’une à la suite de l’autre les différentes représentations du même paysage. Faisant écho au travail du laboratoire Forensic Architecture, le film propose ainsi une reconstruction d’un espace complet à l’aide de fragments épars. Qui plus est, l’exploration spatiale se fait de manière extrêmement logique, faisant du projet un parfait exemple de ce à quoi peut servir la vidéo 360°.


Genesis (Jörg Courtial, 2021) et 21-22 China (Thierry Loa, 2022) sont deux projets 360° qui se répondent à merveille. Je suggère d’ailleurs de les voir l’un à la suite de l’autre, dans cet ordre. Le premier relate l’histoire de la terre depuis sa création jusqu’à aujourd’hui et met en lumière à quel point la race humaine est un phénomène récent dans l’ensemble de l’existence de notre planète, laquelle existe depuis des millions d’années.

21-22 China (Thierry Loa)

Pendant ce temps 21-22 China offre un regard sobre sur l’impact irréversible de l’humanité sur cette planète. Comme nous avions pu le voir déjà en 2019 avec 21-22 Alpha, projet pilote de Thierry Loa, le film propose des vues à 360° prises d’un drone qui survole des paysages; d’abord naturels, ensuite complètement transformés par la main humaine. Si les images des villes chinoises illuminées la nuit sont époustouflantes, la juxtaposition des images de nature et des images de civilisation nous force à remarquer l’impact extrême — et destructeur — que nous avons sur notre habitat.

Bien que certaines personnes hésitent à catégoriser les projets à 360° comme de la réalité virtuelle, ces quatre projets démontrent comment une œuvre vidéo 360° peut utiliser son médium à bon escient et permettre au public d’être transporté vers des lieux qu’il n’aurait jamais pu voir de ses propres yeux. Il n’est pas nécessaire de pouvoir bouger à travers l’espace virtuel ou d’avoir la capacité d’interagir avec le monde pour qu’une œuvre mérite d’être considérée immersive.

Interagir, ou pas

Les 13 projets de la sélection FNC Explore sont divisés en deux sections, soit Horizon VR et Panorama VR 360. Les œuvres 360° sont ainsi présentées à part des œuvres 6DoF, qui offrent généralement différentes modalités d’interaction. Or, ce n’est pas parce qu’un projet propose des interactions qu’il est intrinsèquement meilleur qu’une œuvre non interactive. Dans Fight Back de Céline Tricart, par exemple, de longues séquences narratives passives viennent entrecouper les moments d’interactions qui sont pourtant cruciaux au développement récit. Quelques problèmes techniques sont aussi venus prendre les devants, mettant les faiblesses techniques du système Quest 2 à l’avant-plan, aux dépens du récit. Contrairement à The Key (Céline Tricart, 2019), ici le caractère interactif du projet n’est pas à la hauteur du propos qui se cache derrière l’expérience.

Blood Relations (Analee Weinberger)

Les moments d’interaction proposés par Blood Relations (Analee Weinberger, 2022) eux aussi ne rendaient pas justice au récit qu’ils ponctuaient. Présenté comme un récit de quête identitaire, le projet nous répète qu’il est possible d’interagir avec des objets afin de déceler des éléments de récit. Or, il est impossible de ne pas interagir! La question mérite donc d’être posée : une interaction qui n’offre qu’une seule possibilité est-elle vraiment une interaction? 

Pour sa part, Diagnosia (Mengtai Zhang, 2022) permettait au public de manipuler des objets qui déclenchaient une narration qui n’aurait pas été entendue sinon. Le projet 6DoF met le public dans la peau du réalisateur alors qu’il est placé dans un centre de réhabilitation pour la dépendance à Internet, un diagnostic imposé à plusieurs jeunes adultes en Chine depuis le début des années 2000. En plus des éléments du récit qui sont narrés par le personnage ou que les paroles d’autres personnages nous révèlent, les entrées du journal intime du protagoniste — qu’on peut choisir d’écouter en touchant les objets appropriés — viennent compléter l’histoire. 

Diagnosia (Mengtai Zhang)

Quoi de neuf?

Ayant vu toutes les œuvres de la sélection FNC 2022, je dois avouer être encore et toujours surpris par les découvertes que le Festival du Nouveau Cinéma me permet de faire, et ce, depuis Machine to be Another (BeAnotherLab, 2014) et Doghouse (Mads Damsbo et Johan Knattrup Jensen, 2014) avec lesquels le FNC m’a introduit à la réalité virtuelle il y a toutes ces années.

The Doghouse (Mads Damsbo et Johan Knattrup Jensen, 2014)

Selon Katayoun Dibamehr, responsable de la programmation pour la section FNC Explore, la réalité virtuelle est arrivée à un stade où la technologie peut enfin rester à l’arrière-plan et laisser parler les artistes. On le remarque très bien dans une œuvre comme From the Main Square, ou le propos de l’artiste est mis de l’avant, et où le l’usage de la réalité virtuelle n’est pas une fin en soi; la technologie se laisse oublier pour laisser l’histoire parler d’elle-même.

Ce que From the Main Square me montre, aussi, c’est qu’il y a encore de ces projets qui réussissent à m’étonner, et ce, même avec des moyens relativement simples. Ce projet me donne espoir que nous sommes encore loin d’avoir découvert tout ce qu’il était possible d’accomplir avec la réalité virtuelle. 


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From the Main Square
(Pedro Harres)