Continuance, réalisé par Stratéolab, Chicoutimi
Propos recueillis par :
Entretien réalisé avec Alexandre Boudreault, fondateur et président, Stratéolab.
Réalisée par Stratéolab pour le musée de La Pulperie, dans la région du Saguenay, Continuance est une expérience de réalité virtuelle conçue à partir du tableau Portage-des-roches d’Arthur Villeneuve.
Dans le cadre de leur exposition permanente « Arthur Villeneuve : Loin d’être naïf ! », le musée de la Pulperie offre un survol de la carrière prolifique de l’artiste natif de Chicoutimi qui a produit près de 4000 tableaux et 2000 dessins au long de sa vie. Le projet VR Continuance s’ajoute à la collection des tableaux et des dessins qui constituent la collection, mais aussi à la pièce de résistance de l’exposition : la maison de l’artiste qui lui servait de toile.
Lors de notre entretien, Alexandre Boudreault, fondateur et président du studio de création numérique Stratéolab, raconte avoir été inspiré par l’œuvre de Villeneuve. Alors que le studio et la Pulperie anticipaient déjà une collaboration et que les deux partis avaient déjà la volonté de collaborer dans un projet immersif, les détails du projet n’avaient pas encore été décidés :
Je suis allé faire une visite au musée pour m’inspirer des contenus. Je suis tombé en amour avec l’œuvre de Villeneuve qui est hyper caractéristique, très singulière. J’ai eu l’envie de faire quelque chose avec cet univers génial. C’est parti de là. — Alexandre Boudreault
Interpellé par l’imagerie caractéristique de Villeneuve, Alexandre Boudreault et son studio Stratéolab ont proposé leurs idées à la Pulperie. « On s’était déjà fait une tête sur ce à quoi ça pouvait ressembler, mais on voulait aussi l’input du musée », explique-t-il. « On s’est rencontré, on a proposé une approche globale et les gens de la Pulperie ont été enchantés ». Une chose est claire, il fallait arriver à traduire le style de l’artiste et proposer une exploration de son imaginaire. C’est pourquoi le choix de l’œuvre était si important.
L’objectif était d’offrir une incursion dans l’imaginaire d’Arthur Villeneuve qui est très élaboré, très complexe. On voulait créer un voyage dans sa tête, tout simplement. — Alexandre Boudreault
Du Saguenay à Paris, les peintures de Villeneuve nous font voyager le monde, souligne Alexandre Boudreault : « Il se faisait vraiment une représentation du monde. Il peignait sa vision du monde à travers différents tableaux de lieux symboliques ». En l’occurrence, Portage-des-Roches, une peinture qui se trouve à gauche de la porte d’entrée de la maison-toile de l’artiste, est un tableau très significatif qui fait partie de son univers personnel, ajoute-t-il. « C’était un lieu de pèlerinage pour lui, il allait pêcher là. Il partait à vélo de Chicoutimi pour se rendre à Portage-des-roches régulièrement. C’était son havre de paix ».
Plonger dans l’univers de Continuance
La signification personnelle de Portage-des-Roches était la première raison derrière le choix de cette peinture pour le projet. La seconde était le potentiel de navigation qu’elle présentait. Effectivement, dans l’expérience en réalité virtuelle créée par Stratéolab, le public est invité à naviguer, à déambuler à volonté à travers l’imaginaire de Villeneuve. Cela ajoute une autre couche d’expérience à l’œuvre. « C’était un enjeu pour nous. On voulait avoir un tableau qui avait ce potentiel et qui avait aussi des éléments très caractéristiques qui nous permettaient de faire un level design conséquent ». Alexandre Boudreault explique à cet effet qu’il a fallu se poser quelques questions de sorte à représenter le plus fidèlement possible le langage visuel de l’artiste dans un nouveau médium comme la réalité virtuelle. Un travail de traduction a dû être fait pour transposer l’univers de Villeneuve dans un espace tridimensionnel totalement ouvert. « On est parti de ça et on s’est dit : regardons comment on peut traiter ce contenu qui est très 2D, très à plat. Ça a été nos premières recherches ».
En parlant du choix de médium pour traduire l’œuvre et l’imaginaire de Villeneuve, Alexandre Boudreault clarifie que la réalité virtuelle s’est imposée naturellement : « Le choix était relié à l’œuvre à 100%. Au studio, on fait de la réalité augmentée, du jeu sérieux, de l’image de synthèse, etc. On se questionne beaucoup sur le potentiel qu’une technologie peut avoir dans un projet ». Dans le cas de Continuance, « il n’y avait pas meilleur moyen de faire vivre cette expérience là que la réalité virtuelle. Le choix de la technologie est tout à fait adapté pour ce genre d’expérience là. On n’aurait pas pu traduire ce genre de feeling d’une autre manière »
Pour donner corps aux formes et motifs bidimensionnels de Villeneuve et permettre une exploration libre, Stratéolab a dû faire preuve d’inventivité et anticiper ce qui se cachait derrière chaque surface de l’œuvre. Or, Alexandre Boudreault avoue avoir été aidé par l’identité visuelle forte du matériel source: « Le style de Villeneuve est assez caractéristique pour nous permettre de faire cette anticipation ».
En effet, le style du peintre met de l’avant un ensemble de motifs récurrents que l’artiste appelait « Continuance ». Ce sont ces motifs qui ont donné leur nom à l’expérience de réalité virtuelle décrite ici. « La continuance », explique Alexandre Boudreault, « c’est un système de motifs que Villeneuve a imaginé qui représentait l’aspect vivant du territoire, du paysage, du sol, des montagnes, de l’eau. Quand il représentait un champ ou une montagne, il les tapissait de ce motif-là. C’était sa façon d’illustrer la vivacité du territoire ». Dans leur reproduction de l’œuvre, les artistes de Stratéolab ont donc dû s’efforcer de créer des textures qui évoqueraient la vitalité propre aux peintures de Villeneuve.
Outre le travail d’anticipation des faces cachées du monde imaginaire de Villeneuve, le studio a également dû effectuer des recherches au niveau des couleurs pour rester fidèle aux peintures originales. « Villeneuve était un peintre qui n’avait pas vraiment la préservation comme souci », remarque Alexandre Boudreault. « Il vernissait ses murs avec du verni industriel. Ça altérait les couleurs au fil du temps. Cela dit, il y a quand même quelques œuvres qui n’ont pas été vernies et qui nous ont permis de connaître les vraies couleurs ». Avec l’aide de la Pulperie, le studio de création numérique a pu générer des chartes de couleurs basées sur les comparatifs entre les couleurs intactes et celles altérées par le vernis de sorte à établir la palette la plus fidèle possible : « On voulait que l’œuvre reflète les couleurs originales de son travail», précise Alexandre Boudreault.
Collaboration
Pour Stratéolab, la collaboration avec le musée fut un atout dans la restauration virtuelle de l’œuvre. C’est un aspect sur lequel Alexandre Boudreault insiste : « Tout ce souci du détail par rapport à l’intégralité de l’œuvre a été travaillé en collaboration avec la Pulperie ». S’il peut être difficile de concilier la vision artistique d’un studio avec celle d’un client, la relation entre le musée de la Pulperie et le studio de création numérique s’est avérée heureuse. « La collaboration avec la Pulperie était très naturelle. Leur équipe avait une belle ouverture d’esprit et ça a été super facile de collaborer avec eux ». Plutôt qu’imposer une vision particulière au studio, le musée s’est montré accueillant et collégial. « Ils ont donné des commentaires très pertinents, mais ils ne nous ont pas mis de bâtons dans les roues. Ils voulaient qu’on s’approprie l’œuvre et qu’on ait une certaine liberté ».
On a eu la chance d’avoir un collaborateur qui nous a fait confiance les yeux fermés. — Alexandre Boudreault
Dans sa manière d’expliquer le processus de création de Continuance, Alexandre Boudreault décrit une collaboration harmonieuse avec l’équipe de la Pulperie fut essentielle à la réussite du projet : « C’est ce qui a fait en sorte que le projet a été un succès et que ça a mené à une œuvre magnifique à la fin. Je pense que c’est ce que ça prend dans des projets créatifs, au niveau des critères quand on collabore avec une organisation comme ça. Si l’organisation souhaite tirer le meilleur de l’équipe avec laquelle elle travaille, il faut qu’elle considère l’équipe et qu’elle reconnaisse ses connaissances pour en tirer le meilleur. On a eu la chance d’avoir un collaborateur qui nous a fait confiance les yeux fermés. C’était un facteur très important dans la réussite du projet ».
Adaptation
En nous parlant de la carrière d’Arthur Villeneuve — d’abord barbier de profession, puis enfin peintre autodidacte — un certain parallèle se trace avec le parcours d’Alexandre Boudreault et de son studio. Comme bien des artistes qui s’initient à un nouveau médium, le fondateur de Stratéolab est lui aussi autodidacte. Formé du milieu de l’architecture, Alexandre Boudreault explique s’être entouré d’une équipe versatile qui a permis à son studio de s’adapter aux besoins de clients comme la Pulperie. « En architecture, on utilisait la VR dans le contexte de présentations, mais mon expertise est en modélisation 3D. En ajoutant des programmeurs à l’équipe et d’autres artistes (2D/3D, animateurs, scénaristes, etc.), on a bâti une équipe avec une expertise singulière qui permet de prendre en charge des projets comme celui-là. Il n’y a pas de mauvais chemin pour arriver à nos fins ».
Continuance fait partie de l’exposition permanente « Arthur Villeneuve . Loin d’être naïf ! «
La Pulperie de Chicoutimi — Musée régional
300 Rue Dubuc, Chicoutimi, QC G7J 4M1
La Pulperie elle aussi a dû s’adapter aux nouvelles réalités du domaine muséal. Les technologies numériques, qu’elles soient interactives ou immersives, jouent effectivement un rôle de plus en plus important dans la médiation culturelle. À cet effet, Alexandre Boudreault remarque dans une entrevue avec Informe Affaires que la collaboration avec le musée a dû être pensée de manière conciliante, de sorte à favoriser un bon maillage entre le domaine muséal et celui du numérique. « La réalité virtuelle est émergente dans le domaine. De faire cette expérience nous permet de créer de bonnes pratiques dans notre industrie, car il ne faut pas dénaturer l’œuvre de Villeneuve et il faut créer une immersion adéquate, sans trop en mettre », précise-t-il. « Les visiteurs de musées sont de plus en plus à la recherche d’expérience et cette incursion dans le monde créatif du peintre aura certainement un pouvoir d’attraction d’une clientèle plus jeune ».
Une autre forme d’adaptation de la part du musée devra concerner les stratégies préventives à adopter maintenant que les espaces culturels commencent leur déconfinement. Comme bien d’autres lieux où des expériences de réalité virtuelle étaient proposées, la Pulperie devra trouver une solution pour assurer que le public puisse faire l’expérience d’un projet comme Continuance dans des conditions agréables et sanitaires.