Des balançoires qui connectent
@Daily tous les jours, crédit photo : Thomas Kimmel
Étude de cas réalisée par :
Entretien réalisé avec Melissa Mongiat, cofondatrice et codirectrice, Daily tous les jours, et Noémie Rivière, responsable du développement et des partenariats, Daily tous les jours.
DÉFI : Construire une installation publique créant des connexions entre des personnes de tout âge et de toute provenance un peu partout dans le monde.
ACTEUR : Daily tous les jours, un studio d’art et de design montréalais alliant technologie, narration et performance dans l’espace public.
CAS : Les Balançoires musicales, installation interactive qui a, tous les printemps pendant dix ans, invité les passants à jouer spontanément de la musique ensemble à l’aide d’un instrument géant ; des balançoires accrochées sur la promenade des artistes du Quartier des spectacles de Montréal.
SOLUTION : Créer une œuvre à caractère universel, facilement adaptable au lieu où elle est installée, afin d’attirer des personnes aux profils diversifiés à jouer spontanément ensemble et à collaborer pour atteindre de meilleurs résultats.
Quiconque est passé par le Quartier des spectacles de Montréal au cours des printemps de la dernière décennie connaît les Balançoires musicales. Après tout, des millions de Montréalais.e.s s’y sont balancés plus de 8 500 fois pour faire retentir les notes d’un instrument classique, soit un piano, une guitare, une harpe ou un vibraphone, selon la balançoire choisie.
Les cofondatrices de Daily tous les jours, Mouna Andraos et Melissa Mongiat ont toutes deux fait des études supérieures à l’extérieur du pays – la première au sein d’une maîtrise en Télécommunications interactives de la NYU à New York et la deuxième dans une maîtrise en Environnements narratifs au Central Saint Martins College of Art and Design à Londres.
Revenues à Montréal armées de ces diplômes qui conjuguent art, technologie et impact social, Mouna et Melissa ont établi leur pratique chacune de leur côté. Elles ne se connaissaient pas, mais leur travail, à la fois innovateur et singulier, présentait tellement de points communs que « tout le monde nous disait qu’on devrait se rencontrer ! Ça a un peu été la genèse du studio », raconte Melissa.
Les Balançoires ont été l’un des premiers projets sur lequel elles ont collaboré. C’est l’œuvre qui a contribué à bâtir la notoriété internationale de Daily tous les jours, tout en structurant leurs méthodes de travail et leurs modèles d’affaires.
Un rituel printanier montréalais…
En 2010, le Quartier des spectacles invitait les créateur.rice.s de Daily tous les jours à concevoir une installation représentative du quartier et suffisamment attrayante pour devenir un rendez-vous printanier pour les Montréalaises et les Montréalais. Il s’agissait d’animer la promenade des Artistes, un terrain étroit situé derrière la Place des Arts et encadré par des « vitrines événements », douze structures en métal où étaient notamment exposées des photos. Daily tous les jours a proposé d’y accrocher ses 21 Balançoires, et la suite fait maintenant partie de l’histoire du Quartier des spectacles. Réinstallées chaque printemps de 2011 à 2019, elles sont rapidement devenues des figures emblématiques de Montréal.
… qui deviendra une expérience de connexion humaine partout dans le monde
« Au fil des années, raconte Noémie Rivière, responsable du développement et des partenariats chez Daily tous les jours, les Balançoires ont gagné en performance technologique et en visibilité parce qu’elles ont reçu une reconnaissance internationale, et ce grâce à des prix en design. Mouna et Melissa ont été invitées à intervenir dans des conversations portant sur la magie qui est produite par les Balançoires, la connexion qu’elles créent entre les individus et comment on doit concevoir les villes, mais aussi ce qui doit être pris en compte pour réaliser des espaces urbains en pensant à la qualité de vie et des interactions sociales ».
Les Balançoires sont sorties du Quartier des spectacles pour la première fois en 2014 pour participer au Green Box Arts Festival qui se tient à Green Mountain Falls, une petite municipalité du Colorado. Une version itinérante composée de 10 balançoires, financée par un mécène qui voulait voir les Balançoires au festival, a été créée pour l’occasion.
Depuis, les Balançoires Musicales sont passées par New York, Détroit, West Palm Beach, Dhahran, Singapour, et continuent de tourner dans le monde entier. La première édition permanente a été installée à Lawrence, Indiana en 2021. Une nouvelle édition permanente sera envoyée sous peu en Australie.
Le concours Knight Cities Challenge – Civic Innovators est une invitation ouverte à proposer des idées pour rendre les villes plus performantes en contribuant notamment à créer une culture de l’engagement civique.
Des retombées financières, mais pas seulement
La Knight Foundation a également soutenu la réalisation d’une étude d’impact portant sur les retombées financières et sociales des Balançoires sur les villes hôtes pendant la tournée de 2016, à West Palm Beach, Détroit et San José.
Selon cette étude, les retombées financières directes et indirectes ont représenté plus du triple des dépenses encourues par les villes hôtes pour l’installation des Balançoires. Les auteur.e.s sont arrivé.e.s à ce résultat en compilant les dépenses totales des visiteurs et les taxes ainsi récoltées par les municipalités.
Ils ont également mesuré les interactions sociales générées par les Balançoires, en accordant une attention particulière aux interactions entre des personnes qui ne se connaissaient pas. Les résultats obtenus dans les trois villes sont remarquablement similaires : entre 27% et 30% avaient entamé une conversation avec une personne inconnue. Sans doute, conclut l’étude, parce que l’universalité de l’expérience a été appréciée par tous les participant.e.s, quels que soient leur âge, leur origine ethnique et leur revenu, et a créé un cadre propice à des interactions qui n’auraient probablement pas eu lieu autrement.
Les Balançoires : l’œuvre phare de Daily tous les jours
Pour Melissa, « toute l’histoire – la genèse du projet – est un bon exemple de notre manière de travailler et de capitaliser sur la propriété intellectuelle du studio ».
« Les Balançoires ont servi de test, et tout le modèle d’affaires du studio s’est structuré grâce à cette expérience », ajoute Noémie.
Quand Daily tous les jours travaille sur une œuvre originale, la méthode est toujours la même : d’abord une étude de site, une étude des histoires du site, donc des gens. Chaque fois, le studio essaie d’impliquer la communauté concernée dans son processus créatif.
« On est capable d’adapter un concept existant à la réalité d’autres sites et de toujours générer des interactions aussi pertinentes avec un impact toujours aussi positif sur le lieu et sur la communauté », explique Melissa.
« La plupart de nos projets sont des commandes d’œuvres in situ, donc on étudie beaucoup le contexte et on finit par trouver quelque chose d’universel dans la recherche, quelque chose qui est exportable si on veut. Dans certains cas, on change la configuration, on change le motif, on change la musique et ça raconte une nouvelle histoire. Ça permet à l’idée de base de se transformer et de toujours trouver une pertinence qui est vraiment locale ».
Le projet Mesa Musical Project (Danser avec son ombre) illustre bien cette méthode de travail.
Pour ce projet de pavés musicaux installé à Mesa en Arizona, « la grosse contrainte, ça a été de travailler avec le soleil. Mesa est l’une des villes les plus ensoleillées aux États-Unis et c’est une vraie contrainte d’aller chercher de l’ombre. Finalement, on a essayé de transformer cette contrainte en un facteur positif. Le pavé musical réagit aux ombres des utilisateurs et ça déclenche de la musique. On crée donc à la fois de la musique et une chorégraphie ».
Donc, conclut Melissa, « l’histoire des Balançoires, finalement, se répète un peu avec l’histoire des pavés musicaux ».
Comme des pigeons
Au départ du développement du projet des Balançoires, Daily a étudié le concept de coopération avec Luc-Alain Giraldeau, professeur en comportement animal et Directeur général de l’INRS. Il étudiait notamment les comportements de coopération entre les pigeons, nos autres voisins urbains.
Le pigeon est commode à étudier, car très proche de nous, explique Luc-Alain Giraldeau dans son livre Dans l’œil du pigeon : évolution, hérédité et culture2. Il se distingue par sa capacité à s’adapter à des environnements divers et changeants. La conclusion du professeur Giraldeau : un organisme culturel dont les membres collaborent au succès de l’ensemble fera l’affaire de la survie et la propagation des gènes.
Comme l’explique Melissa, « on s’est rendu compte du pouvoir qu’avait le projet de créer une espèce de dénominateur commun et de pouvoir, pendant un moment, enlever un peu des différences, des clivages qu’il y a dans les villes. Et ça, ça nous a beaucoup animées ».
« Puis en faisant des recherches aussi par rapport à la synchronicité et à la musique, on se rend compte qu’il y a une proximité sociale qui se crée quand plusieurs personnes perçoivent de la musique ensemble. Elles ressentent plus de connexion aux autres quand elles écoutent un concert de musique ensemble ».
1 Une fondation américaine à but non lucratif qui accorde des subventions au journalisme, aux communautés et aux arts.
2 GIRALDEAU, Luc-Alain. Dans l’œil du pigeon : évolution, hérédité et culture. Boréal, 2016.