Compte rendu de Sundance New Frontier 2022



SUNDANCE NEW FRONTIER 2022

Cette année encore, la section Sundance New Frontier se déroulait en format virtuel. Du 20 au 28 janvier dernier, le public était invité sur le Spaceship, un espace WebXR qui propose des espaces sociaux, une salle de projection, ainsi qu’une galerie remplie d’œuvres qui cherchent à repousser les frontières de leur médium respectif. Retour sur cet événement qui marque le début de l’année 2022 et sur certaines des tendances qui se dessinent.

Sundance New Frontier
Sundance New Frontier

Après avoir été l’un des derniers événements à pouvoir se dérouler en personne en 2020, c’est en janvier 2021 que Sundance propose pour la première fois une formule virtuelle de son festival, la même que le festival reprend cette année. Plus spécifiquement, toutes les œuvres de la portion New Frontier — dédiée aux œuvres immersives, interactives et à tout ce que j’appellerais encore les nouveaux médias — sont présentées sur cette fameuse station spatiale en orbite de la terre et accessible partout dans le monde, moyennant une connexion Internet et une passe « explorer » de $50 USD.

La galerie contient toutes les œuvres de la sélection, organisées en fonction de leur médium : réalité virtuelle, augmentée ou mixte, Web, etc. Or, celle-ci n’est qu’une vitrine vers tous les projets qui doivent être téléchargés individuellement sur des plateformes diverses. En termes de réalité virtuelle, par exemple, certains projets devaient être installés sur un ordinateur Windows connecté à un casque PCVR alors que d’autres étaient exclusifs aux casques Quest. C’est encore là l’un des plus gros problèmes d’un festival virtuel : la gestion du matériel et des problèmes techniques qui doit être prise en charge par tout un chacun. Sans pouvoir accompagner chaque membre du public, comme ce serait le cas sur place, un festival comme Sundance (mais aussi Tribeca, Cannes, NewImages, etc.) doit pouvoir compter sur leur débrouillardise. Quelqu’un qui n’aurait qu’un ordinateur Apple ou qu’un casque Quest, comme c’est mon cas, doit savoir trouver des solutions originales pour accéder à toute la programmation. Ces pépins techniques s’ajoutent aux enjeux qu’on rencontre dans n’importe quel festival, virtuel ou en présentiel : conflits d’horaire, places limitées, etc.

On the morning you wake (to the end of the world)

On the morning you wake (to the end of the world)

C’est donc avec un Quest 2 connecté à une machine Windows virtuelle que je me suis dirigé vers la section réalité virtuelle de la galerie pour découvrir certains des meilleurs projets de la sélection New Frontier. On the morning you wake (to the end of the world) est un projet signé par certains des mêmes individus qui nous avaient donné Notes on Blindness il y a quelques années. On the morning you wake relate le matin, en janvier 2018, où tous les habitants d’Hawaï ont reçu une alerte au missile balistique qui s’est avérée être une erreur. Le projet propose une série de témoignages qui mettent en perspective le sentiment de panique ressenti ce matin fatidique. Tout au long de l’œuvre, des scènes tournées en capture volumétrique illustrent et accentuent ces propos. hawaïens.

Certaines personnes, comme Katrhyn Yu du balado No Proscenium, ont dit du projet qu’il nous mettait « dans la peau » des citoyens hawaïens.Or, ce dernier ne nous met pas littéralement dans la tête de l’un des intervenants, comme c’était le cas dans Notes on Blindness. En tant qu’observateurs externes, nous ne faisons que témoigner de ce qui nous est raconté, comme il se doit d’une œuvre aux visées documentaires. Seul le temps nous dira si l’impact de ce nouveau projet sera le même que celui de ce dernier, mais il est évident — vu la couverture médiatique qu’il se mérite déjà — qu’il vaudra la peine de suivre de près l’évolution du projet, de même que celle des prochains épisodes.

Flat Earth VR

Flat Earth VR

Changeant complètement de registre, Lucas Rizzotto nous met dans la peau d’un adepte de la conspiration de la Terre Plate dans Flat Earth VR. Alors qu’on a longtemps parlé du potentiel de la réalité virtuelle comme « machine à empathie », capable de nous mettre dans la peau d’autrui, ici le réalisateur pousse l’idée vers l’absurde en proposant de nous faire vivre un voyage en orbite de la terre afin de voir la Terre « telle qu’elle est réellement » selon ce groupuscule, à savoir plate. Puisqu’il faut le voir pour le croire, Rizzotto nous assoit dans une fusée volée à la NASA et nous emmène faire un tour tout autour de la planète. C’est ainsi que l’œuvre nous fait voyager vers l’espace avec l’aide d’un ordinateur de bord bien rigolo et d’une paire de caméras qui nous permettent de documenter nos trouvailles. Malheureusement, une fois le voyage terminé, nos caméras sont confisquées et toutes les preuves récoltées durant le trajet sont perdues à jamais; une fin appropriée pour cette mission absurde. Empreint d’humour comme tous les projets de Rizzotto, Flat Earth VR était une bouffée d’air frais bien méritée après certains des autres projets présentés à Sundance, comme On the morning you wake et sa menace apocalyptique.

Child of empire

Alors que les caméras de Flat Earth VR ne servent intentionnellement à rien, je ne peux pas dire que les interactions de Child of Empire se méritent le même bénéfice du doute. Dans cette expérience en réalité virtuelle pour casque Quest, on nous raconte la plus grande migration forcée de l’histoire de l’humanité, à savoir celle causée lors de la création du Pakistan en 1947. Je suis gêné d’avouer que l’œuvre m’en a appris beaucoup sur l’histoire de la colonisation britannique en Inde et sur les violences vécues par le peuple du sous-continent au lendemain de la partition du pays. En ce sens, le projet est très important et j’espère qu’il circulera largement. Or, tout au long de l’expérience je me suis demandé pourquoi on m’avait donné des mains et pourquoi on me demandait d’interagir. Peut-être qu’il ne s’agissait que d’une première version d’un projet qui, lors de sa sortie officielle, proposera des interactions plus originales et, surtout, plus justifiées. Cependant, pour l’instant Child of Empire me laisse sur ma faim et me convainc une fois de plus qu’il ne faut pas ajouter des interactions seulement pour en ajouter. 

This is not a ceremony 

This is not a ceremony 

Pour terminer ce survol des expériences immersives au festival Sundance, parlons de This is not a Ceremony. Dans son premier projet à titre de réalisateur, Ahnahktsipiitaa (Colin Van Loon) demande à son public d’être témoin, non pas d’une cérémonie comme le titre l’indique, mais bien de certaines des atrocités commises envers les peuples autochtones du Canada. Encore une fois, il ne s’agit pas de se mettre dans la peau d’un individu qui aurait vécu ces violences. En tant que film 360°, le projet ne nous demande pas non plus d’interagir (inutilement ou pas). Simplement, l’œuvre nous demande de reconnaître la position de témoin qu’elle nous attribue et d’écouter les témoignages des deux intervenants.

Maintenant que vous savez, que vous comptez faire à ce propos ?

This is not a Ceremony

Chaque année, la sélection Sundance New Frontier propose des œuvres novatrices. Or, on peut s’imaginer que les limitations imposées par la pandémie s’étendent également au type d’œuvres qui peuvent être présentées. Dans un premier temps, il arrive que des œuvres ne puissent pas être répertoriées sur les plateformes qu’utilisent ces festivals, le plus souvent en raison des règles de contenus. C’était le cas de In the Mist, qui n’avait pu être présenté que sur place à Venise lors de la Biennale en septembre 2021. En raison du contenu de l’œuvre, celle-ci n’avait pas pu être présentée en ligne comme tout le reste de la sélection du festival de Venise. Même le Festival du Nouveau Cinéma, qui avait sélectionné le projet pour son festival du mois d’octobre, n’a pas pu présenter le projet, et ce, même sur place au Centre PHI.

Lors d’une entrevue au mois d’avril 2021, Shari Frilot (responsable du programme Sundance New Frontier) m’expliquait également être soucieuse du type d’œuvre qu’elle pouvait présenter dans ces conditions virtuelles. Sans l’encadrement qu’il lui est possible d’offrir sur place, Frilot reconnaît qu’il faut parfois faire plus attention. 

Alors que ces nouveaux médias se développent encore, le rôle d’accompagnement des festivals est encore et toujours primordial.