Trucs et astuces pour partir à la conquête de la Belgique
La réputation du Québec sur la scène internationale n’est plus à faire dans le domaine de la créativité numérique. On le sait, les studios d’ici ont la cote partout dans le monde.
À preuve, une délégation chapeautée par Isha Bottin, chargée de projet international de l’Effet Québec – en collaboration avec Les Offices jeunesse internationaux du Québec (LOJIQ) – s’est dirigée au prestigieux KIKK Festival de Namur, en Belgique. Au total, ce sont 34 représentant.e.s des industries culturelles et créatives qui ont participé à cette mission.
Toutefois, avant de faire des affaires dans un autre pays, sur un autre continent, avec des gens d’une culture différente, il vaut mieux bien se préparer. C’est à cette fin que Guillaume Aniorté, directeur général du Quartier des spectacles international (QDSI) et Dildel Lavoie, ex-associé chez XYZ Technologie Culturelle, ont été conviés pour partager avec les voyageur.euse.s en destination de la Belgique leurs expériences d’affaires sur ce territoire.
Retour sur une conversation captivante.
QDSI et la coproduction
Isha Bottin a mis la table de ce cercle de partage en promettant deux récits d’expériences très différentes, voire contrastantes.
Guillaume Aniorté a été invité à témoigner en premier. D’emblée, il a tenu à préciser que son expérience n’en était pas une d’exportation, mais bien de coproduction avec la France et la Belgique.
C’est lors du Forum NUMIX, un événement signé Xn Québec, qu’il est entré en contact avec le directeur artistique du Festival Constellations de Metz, qui se déroule pendant trois mois dans la région du Grand Est, en France.
Ce dernier était intéressé par l’approche du QDSI, ayant déjà instauré un modèle de coproduction établi et pérenne. Ensemble, ils ont recherché un troisième partenaire et l’ont trouvé auprès de Brussels Major Events (BME).
« On a rapidement conclu une entente » se souvient Guillaume Aniorté, avant de rappeler que BME est une organisation indépendante, même si financée par la ville de Bruxelles.
C’est d’ailleurs son premier conseil : « c’est plus simple lorsque l’on cherche à s’entendre avec une organisation – même si elle est mandatée par une ville – qui n’est pas une organisation municipale ».
Il précise : « quand on travaille avec des institutions publiques ou parapubliques, les contrats sont assez souvent formatés et les processus de discussion autour des contrats sont assez lourds parce qu’il faut passer par le département juridique de la ville ». Ce n’est pas tout, il ajoute qu’il est très difficile, voire impossible, pour les organisations gouvernementales de « rouvrir l’attribution des fonds ». Donc s’il y a dépassement de coûts, « il va falloir que vous l’assumiez ».
Autre élément à noter, lorsque des organismes publics accordent des contrats, ils s’attendent à ce qu’il y ait des retombées économiques sur leur territoire. Il est donc préférable de « penser aussi à des partenaires locaux ».
Guillaume Aniorté a ensuite abordé l’incontournable question des budgets. « Contrairement à ce que l’on pense, les coûts de production sont moins élevés qu’ici ». Ceci s’explique par le fait qu’on est « très influencé par le marché américain qui a plus d’argent ». Bref, « en Europe, les projets se font avec moins de fonds que ce à quoi nous sommes habitués ici ». On parle de « 100 000$ à 200 000 $ pour des budgets de production ».
Les premiers pas de XYZ en Belgique
Isha Bottin a ensuite donné la parole à Dildel Lavoie de XYZ Technologie Culturelle pour qu’il témoigne de son aventure européenne.
Il a d’abord souligné que le premier contact avec son client potentiel est survenu lors d’une activité de matchmaking initiée par HUB Montréal lors de la pandémie. Après une séance de discussion éclair via Zoom avec des représentant.e.s de urban.brussels, XYZ a été invité à réfléchir à un projet XR de mise en valeur du patrimoine architectural.
Le développement du concept s’est poursuivi avec une firme belge, Hovertone, dans le cadre d’une activité menée par XR4Heritage, lors du festival européen Stereopsia. Il s’agissait d’un hackathon de 48 heures au terme duquel le projet élaboré devait être présenté à un panel formé d’institutions européennes. « Quand on a présenté notre projet, c’était super ! Les idées fusaient !, se souvient-il. Évidemment, on a développé quelque chose sans réfléchir aux contraintes budgétaires ».
Le projet a capturé l’imagination du panel et a été nommé gagnant. Propulsée par ce succès d’estime, l’équipe de XYZ a décidé de « battre le fer pendant qu’il est chaud » et s’est affairée à boucler le financement nécessaire à la réalisation de l’installation.
Or, dressant un parallèle avec l’expérience de Guillaume Aniorté, Dildel Lavoie note que pour tout ce qui touche le patrimoine en Europe, les investissements sont forcément de nature publique. Ce faisant, ils ont été rapidement confrontés à des contraintes budgétaires considérables.
C’est alors que l’associé chez XYZ Technologie Culturelle interrompt son propre récit : « est-ce que je vous ai dit que c’était un échec ce projet-là ? L’idée, c’est de partager mon expérience ».
Il précise « qu’il y avait beaucoup d’enthousiasme, beaucoup de bonne volonté de part et d’autre, mais que c’était impossible d’aller chercher les fonds. Il aurait fallu faire le projet avec une enveloppe de 50 à 100 000 $ et, avec ces montants-là, ce n’était pas possible de faire ce qu’on avait imaginé ».
Il n’en retient pas que du négatif, loin de là. « Je le referais aujourd’hui, affirme-t-il. On a rencontré plein de gens en Belgique, au niveau public, mais aussi au niveau des gouvernements. Ça nous a permis de nous rapprocher auprès des délégations, comme la délégation générale du Québec à Bruxelles qui est très active pour le secteur ».
Un cercle de partage
À la lumière du témoignage de Dildel Lavoie, Guillaume Aniorté avance qu’il croit qu’il est de plus en plus difficile pour des créateur.rice.s québécois.e.s d’être de simples « prestataires de services » pour des projets en Europe.
Il suggère une piste de solution : « je pense qu’une des façons d’entrer sur ce marché-là, c’est comme coproducteur ». Il ajoute : « il faut arriver avec des fonds. Et des fonds, on en a au Québec. Ça peut être des fonds privés, ça peut venir de la SODEC. En arrivant avec des fonds, on sort du registre de la prestation de service et on se positionne plutôt comme un partenaire d’affaires. Ça permet de contourner un certain nombre de problématiques ».
Cette approche soulève une question émise par un membre de l’assistance : « comment obtenir un financement de la SODEC, sans avoir sécurisé à priori le reste du budget auprès d’investisseurs européens ? ».
Pour le directeur de QDSI, il faut alors « moins travailler par projet que par un financement corporatif, c’est-à-dire passer par exemple par la banque d’affaires de la SODEC. C’est du prêt conventionnel, mais qu’on peut déclencher en fonction des projets. On n’est pas obligé de libérer tout l’argent, mais c’est un risque. Après, il faut le rembourser ».
Un autre conseil de Guillaume Aniorté est de s’appuyer sur les délégations générales (ou les bureaux) du Québec à travers le monde. « Elles sont hyper efficaces », souligne-t-il. « Il y a une véritable volonté de faire entrer les entreprises créatives dans ces délégations-là ».
Dildel abonde dans le même sens. À ses yeux, les représentant.e.s des délégations québécoises sont « vos meilleur.e.s ami.e.s avant et après » les rencontres d’affaires sur le territoire européen. Pour cela, « ils viennent vous appuyer, faire certaines démarches localement et crédibiliser vos démarches auprès de clients potentiels ».
Il note toutefois qu’il faut les aider à vous aider. « Il faut communiquer avec elles, vous faire connaître d’elles et actualiser l’information sur vous et vos projets, parce qu’elles ne sont pas dédiées qu’à vous ».
Les risques du métier
Quels sont les écueils à éviter lorsque l’on se lance en affaires outre-mer ?
Guillaume Aniorté note que « comme pour tous les marchés distants, il faut maintenir une présence. C’est long à entrer. C’est un marché dense avec plein de ramifications. Donc, pour percer, il faut être présent en continu, (…) être capable d’y revenir et être dans une relation durable ».
Le jeu en vaut la chandelle, surtout pour un territoire comme Bruxelles. Il rappelle que « c’est un marché central en Europe, qui dessert les pays nordiques, l’Angleterre et toute la partie Est de l’Europe. C’est un bon point d’ancrage ».
Il faut aussi faire attention aux différences culturelles dans la façon de faire des affaires. Par exemple, les Québécois.e.s sont reconnu.e.s pour être familier.ière.s et peu formel.le.s dans leurs relations avec les étranger.ère.s. Ce n’est pas le cas partout dans le monde.
À cet égard, Dildel Lavoie évoque un faux pas survenu justement lors d’un repas d’affaires en Belgique. Il relate avoir « tutoyé » un serveur, ce qui va à l’encontre des us et coutumes belges. Gentiment alerté de sa maladresse par ses interlocuteurs locaux, il est allé s’excuser auprès de l’employé. Comble du malheur, il a posé sa main sur l’épaule du serveur, ce qui constitue un autre faux pas à éviter…
Dans le même ordre d’idées, Guillaume Aniorté exhorte les participant.e.s présent.e.s à éviter l’anglicisme « introduire quelqu’un ». Les chances sont bonnes pour qu’en Europe, on vous réponde : « non, ça va aller ».
Une partie de plaisir
Pour conclure, Guillaume Aniorté rappelle qu’il y a une partie de plaisir dans les missions commerciales. C’est plaisant de voyager à Bruxelles ou Namur pour affaires.
De plus, c’est une occasion de voir ce qui se fait ailleurs et de s’en inspirer. « Sans conteste, il y a une véritable expertise à Montréal et au Québec, rappelle-t-il. Un savoir-faire fort qui est reconnu internationalement. Mais allez voir ce qui se fait ailleurs, c’est intéressant, il y a de gros festivals, de gros événements. Il faut voir ça comme une source d’inspiration créative ».