Quels rôles les créateurs et les artistes jouent-ils dans le développement urbain de nos villes ?
Quels rôles les créateurs et les artistes jouent-ils dans le développement urbain de nos villes ?
Ce texte fait suite à la conférence internationale Node – Creating cities qui s’est déroulée le vendredi 22 octobre 2021 et qui abordait le rôle de l’art, de la culture et des industries créatives dans l’espace urbain – un événement hybride avec diffusion en direct par NODE et le gouvernement du Québec.
«Comment les artistes et les espaces urbains interagissent-ils ?»
«En quoi les créatifs façonnent nos villes et quelles impulsions peuvent-ils apporter au développement urbain ?»
Telles sont les questions abordées de front par les intervenants invités à la conférence Creating Cities organisée par le NODE Forum for Digital Arts et le gouvernement du Québec à l’occasion de la présence du Canada à titre d’invité d’honneur à la Foire du livre de Francfort 2020/2021, le 22 octobre dernier.
Pour avoir un portrait d’ensemble de ces questions complexes, les organisateurs ont opté pour trois angles d’approche différents provenant de deux territoires. Ils ont ainsi donné la parole à des planificateurs œuvrant dans des instances gouvernementales, des créateurs d’installations artistiques destinées aux espaces publics et des représentants des organismes qui lient les planificateurs aux créateurs.
Pour chacune des trois parties de la conférence, des intervenants du Québec et de l’État de la Hesse en Allemagne ont été appelés au micro.
Les planificateurs – visionnaires de l’image des villes et de la perception qu’elles renvoient
Intervenant.e.s :
Catherine Lareau : Commissaire au développement économique, secteur créatif et culturel, Ville de Montréal
Caroline Romahn : Chef du Département Culture/Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et des Arts de Hesse
Matthias Pees : Directeur artistique et gérant du Künstlerhaus Mousonturm
Rolf Krämer : Responsable des start-ups, des industries culturelles et créatives au ministère de l’Économie de Hesse
Je crois que les villes de partout dans le monde font face à la même problématique en ce qui concerne leur développement. (…) En cette ère du numérique, les centres-villes sont appelés à changer de façon fondamentale, s’éloignant de leur rôle traditionnel d’espace commercial.
C’est de cette manière que Rolf Krämer, Responsable des start-ups, des industries culturelles et créatives au ministère de l’Économie de Hesse, a jeté les bases de la discussion.
S’exprimant via visioconférence, la seconde intervenante, Catherine Lareau de la Ville de Montréal, abondait dans le même sens. Elle insiste même sur le fait que les changements dus au numérique ont été précipités par la crise sanitaire. Or comme « chaque crise amène une série d’opportunités », les derniers mois ont été « un bon moment pour apprendre, s’améliorer et pour créer ».
Après avoir identifié trois impacts majeurs de la crise au niveau culturel et créatif, soit la vulnérabilité dans laquelle elle plonge les créateurs, la fermeture de lieux culturels et la fermeture des frontières, l’équipe de la Ville de Montréal a mis en place un plan de relance.
Cette stratégie a misé sur de nouvelles formes d’expressions et de socialisation que permettent les œuvres numériques :
- D’abord, des œuvres déjà existantes ont été déployées de nouveau, mais dans de nouveaux quartiers plus excentrés qui n’étaient pas habitués à être exposés à de telles créations.
- Ensuite, un appel à projets a été lancé pour encourager la collaboration entre les studios de créations numériques et la communauté artistique traditionnelle.
- Des projets ludiques ne cadrant pas dans les deux catégories précédentes ont aussi été soutenus et développés pour rendre les espaces publics de la ville plus amusants.
« Au total, plus de 100 projets ont été soumis », mentionna Catherine Lareau. Du lot, elle nomma l’installation Duo du studio Mirari et souligna au passage que cette œuvre s’est mérité une distinction au prestigieux gala des PRIX NUMIX.
Finalement, Catherine Lareau expliqua que les artistes sélectionnés y trouvèrent leur compte puisqu’ils demeuraient en contrôle de la propriété intellectuelle des œuvres subventionnées et obtenaient de la crédibilité et de la visibilité en travaillant avec la Ville de Montréal.
Dans les échanges concluant cette portion de la conférence, Mathias Pees révéla qu’à la suite de son passage au Québec en marge du Festival TransAmériques, il a été frappé à quel point « la créativité dans l’espace public est hors du commun à Montréal ».
Ce à quoi Catherine Lareau ajouta : « On essaie d’être aussi créatifs dans notre travail que les créatifs le sont dans leurs œuvres ».
Les curateurs et médiateurs culturels – initiateurs de projets qui transforment les villes en toiles
Intervenant.e.s :
Guillaume Aniorté : Conseiller exécutif en développement international et stratégique — Partenariat du Quartier des spectacles
Ellen Blumenstein : Curatrice, HafenCity
Félix Hevelke : Anthropologue, historien de l’art, responsable culturel
Aileen Treusch : Curatrice, Fondatrice de faktory, Productrice, Chercheuse
Pour cette deuxième portion de la conférence, l’emphase était placée sur le rôle des institutions qui agissent comme « de la colle entre les planificateurs et les artistes ».
C’est à ce titre que Guillaume Aniorté du Quartier des Spectacles de Montréal s’est présenté au micro à Francfort-sur-la-Main.
Il mentionna que les installations interactives dans l’espace public permettent « de rendre les gens heureux en jouant avec la culture ». À cet égard, il cita l’exemple de « The Loop », qui a été lancé en primeur dans le Quartier des spectacles et qui est maintenant présenté à Francfort en marge de la plus récente édition de sa Foire du livre internationale.
En effet, « pourquoi ne pas exporter nos installations ? », se questionna-t-il. Il alla même plus loin en énumérant ses souhaits : « co-investir, cocréer, développer des liens et partager ses expériences » avec des représentants et représentantes provenant d’autres grandes villes internationales.
Justement, l’une d’elles était l’intervenante suivante : Ellen Blumenstein, de l’organisme Imagine the City basé à Hamburg. À la question « qu’est-ce que ça prend pour créer l’image d’une ville ? », elle souligna que l’image média d’une ville, celle qui circule sur les médias sociaux, est tout aussi importante que l’image physique de la ville qu’on peut apprécier sur place.
Dans la conversation réunissant les curateurs et médiateurs culturels, Guillaume Aniorté est revenu sur ce point pour dire que ce qui fait le succès de la signalétique d’une ville, c’est son attachement à sa nature propre. Ainsi, il rappela que le Quartier des spectacles emploie un point rouge pour identifier les emplacements clés sur son territoire, et que ce point rouge est directement inspiré du passé du quartier en tant que « red-light district ».
Au sujet du rôle des artistes au sein de leur communauté, Aileen Treusch insista sur le fait que « les artistes ne sont pas là que pour décorer les villes. Nous avons besoin de leur approche créative pour penser en-dehors de la boîte ».
De son côté, Ellen Blumenstein mentionna que l’art public permettait de « générer beaucoup plus d’intérêt et de portée » que les œuvres présentées dans les musées. Selon ses chiffres, seulement 1,7 % de la population fréquente les musées alors que de 20 % à 30 % de la population interagissent avec les œuvres situées dans les espaces publics.
Les créateurs – l’art d’imaginer et de bâtir des moments mémorables
Intervenant.e.s :
Olivier Girouard : Artiste visuel Ekumen
Thomas Payette: Directeur créatif et cofondateur mirari
Berndt Jasper et Móka Farkas : Baltic Raw Org (BRO)
Stefan Weil : Chef de la création Atelier Markgraph
C’était ensuite au tour des artistes de prendre la parole. Olivier Girouard, du studio montréalais Ekumen, fut le premier à monter sur scène.
Il commença par démystifier les installations en espace public en rappelant que : « à l’intérieur d’un grand hall ou à l’extérieur dans l’espace public, nous utilisons les mêmes outils » pour créer.
À titre de l’un des créateurs de The Loop, il s’est dit heureux que son travail soit présenté en marge de la Foire du livre de Francfort.
Il enchaîna en expliquant comment l’exportation faisait partie de sa démarche artistique. Au point où sa plus récente création, Spacetime, l’incorpore en liant des bancs connectés en direct entre deux places publiques situées dans deux villes différentes.
Olivier Girouard passa le micro à Thomas Payette du studio Mirari. Ce dernier affirma que les œuvres qu’il conçoit pour l’espace public sont construites pour pouvoir voyager. En effet, il s’assure que les équipements soient démontables et remontables et qu’elles résistent aux aléas de la météo.
Pour Duo, il est particulièrement fier « d’avoir amené la danse contemporaine dans l’espace public. Ce qui apporte de la découvrabilité à cette discipline souvent négligée ».
Pour présenter le point de vue allemand, Berndt Jasper et Móka Farkas du collectif Baltic Raw Org présentèrent leurs réussites comme l’événement Wowtecture où des édifices iconiques de partout dans le monde ont été reproduits en contre-plaqué. Berndt Jasper en a profité pour expliquer que « les cités modernes ont besoin d’icônes ».
À son tour, Stefan Weil chanta les louanges de la créativité canadienne, soulignant avoir été grandement impressionné par ce qu’il a vu lors de sa visite durant Mutek. Il nota aussi que les installations interactives sont « comme un terrain de jeux pour adultes, et peut-être aussi pour les enfants. En fait, pour tout le monde ! »
Dans la conversation concluant cette section, Olivier Girouard définit son rôle comme étant de « faire sortir les gens, les faire se sentir bien et de générer de la curiosité ». Il ajouta :
Je crois que nous vivons tous – seuls – devant nos écrans et que sortir et interagir avec des œuvres tangibles dans l’espace physique crée une étincelle. Ça inspire les gens à se reconnecter avec leur environnement.
Thomas Payette souligna de son côté que « les œuvres en espace public ont besoin de beaucoup de ressources ». À cet égard, il précisa : « nous avons besoin du bon financement ». Or, de la façon dont ces financements sont distribués, « nous ne pouvons pas prendre l’initiative de proposer des projets. On peut seulement répondre à des appels de projets ».
Un membre de l’assistance a ensuite soulevé la question de la mesure du succès des installations interactives. Thomas Payette a répondu en un seul mot : « Instagram ». En effet, on peut saisir l’impact populaire d’une œuvre en observant les interactions qu’elle génère sur les médias sociaux.
Il rappelle toutefois que chaque création demeure un risque. « Ça se peut que ça ne fonctionne pas ». Olivier Girouard ajouta que « la première itération demeurera toujours un prototype. Or, j’aime penser à ma ville comme étant elle aussi un prototype. »
À propos de Node
NODE Verein zur Förderung Digitaler Kultur e.V. a été fondée en 2010 et est une organisation à but non lucratif basée à Francfort. Depuis sa fondation, le conseil d’administration est dirigé par David Brüll et Sebastian Oschatz. Le conseil d’administration de l’organisation bénévole ainsi que les nombreux membres d’honneur de l’équipe et les animateurs d’ateliers croient en l’esprit de partage des connaissances et d’échange d’idées.
Sa mission : célébrer la culture, les arts et la technologie. C’est un lieu d’échange ouvert et de discours critique pour tous.