L’Infini, créée par Felix & Paul Studio et le Studio Phi
Propos recueillis par :
Rarement ai-je pleuré en faisant une expérience de réalité virtuelle. Récemment, il y a eu Le livre de la distance (Randall Okita, 2020) et Namoo (Erick Oh, 2021). Maintenant, je peux rajouter L’INFINI à cette liste. Dans le cadre d’une séquence vidéo 360° d’une dizaine de minutes tournée à bord de la coupole d’observation panoramique de la Station Spatiale Internationale, j’ai pu me mettre dans la peau d’un astronaute et observer la terre d’un point de vue que moins de 400 individus ont eu le privilège d’occuper dans l’histoire de l’humanité. Alors que j’étais confortablement installé dans une usine convertie en galerie d’art à Griffintown, les images qu’on me proposait me transportaient plutôt à quelques 400 km de distance, en orbite de la terre. C’est ainsi que j’ai pu vivre (par procuration) ce qu’on appelle « l’effet de surplomb », soit ce fameux choc cognitif qui frappe celles et ceux qui voient la terre depuis l’espace et qui sont ainsi confrontés à une perspective totalement nouvelle qui dépasse l’entendement humain. Pour moi qui étudie ce phénomène depuis plusieurs années, la chance de voir ces images de mes propres yeux m’a ému à un tel point que je n’ai pas pu me retenir d’en verser quelques larmes.
C’est dans le cadre de L’INFINI que j’ai pu vivre cette expérience au sein d’un parcours immersif tout en lumière totalisant plus de 1000 m2. Présentée à Arsenal Art Contemporain Montréal du 21 juillet jusqu’au 7 novembre 2021, L’INFINI est une nouvelle exposition immersive réalisée par Felix & Paul Studios et produite par PHI Studios, en partenariat avec Time Studios. Pendant une heure, celle-ci propose un parcours lumineux qui nous invite à quitter la terre et à explorer de nouveaux territoires, de nouvelles expériences et de nouvelles façons de voir le monde. Bien que certaines des images tournées depuis quelque temps par le studio montréalais à bord de la Station Spatiale Internationale aient déjà été présentées sous forme de vidéo 360° dans le cadre de la série Space Explorers, cette exposition offre une nouvelle façon de découvrir ces contenus en les intégrant à un parcours lumineux que je me permets de vous décrire dans ce compte rendu.
Source : PHI.ca
Source : PHI.ca
Exploration spatiale
Bien qu’elle soit « inspirée par les missions de la NASA » et bien que le cœur de l’exposition reste les images que Felix & Paul ont ramenées de la Station Spatiale Internationale, L’INFINI n’est pas qu’à propos de l’espace. Comme le suggère la narration qui constitue le prologue de l’exposition, le parcours qui nous est proposé est également marqué par la découverte; spatiale, certes, mais aussi du monde, de ce qui nous anime et de ce qui nous unit.
Pour Félix Lajeunesse (Co-fondateur et directeur de la création du studio Felix & Paul), « l’exploration spatiale est un sujet infiniment vaste ». L’INFINI invite donc le public à aborder le sujet d’un point de vue plus émotionnel, plus viscéral, voire plus spirituel. L’espace — de même que l’esprit de découverte qui nous y a menés — est un sujet qui touche la majorité des gens et chaque personne risque d’en retirer quelque chose d’unique. Lajeunesse espère que cette exposition pourra permettre aux gens d’être connectés de manière plus viscérale au sujet que s’ils l’avaient découvert dans un planétarium ou un centre de science. Au final, l’espoir est que le public puisse être ému, voire profondément transformé, par les œuvres immersives proposées et par leur traitement de la matière.
Itinéraire intersidéral
L’INFINI couvre une étendue de plus de 1000 m2 divisée en sept zones qui marquent un trajet de la terre à l’espace, avant de retomber sur terre. Après être passés par un sas qui nous introduit à l’appel des étoiles et aux thématiques de l’exposition, on nous invite sur le quai d’embarquement où une série de casques de réalité virtuelle sont prêts à être pris. En l’occurrence, il s’agit de casques Oculus Quest 2 modifiés pour les besoins de l’exposition et fraîchement sortis d’une séance de désinfection aux rayons ultraviolets.
Une fois les casques mis et configurés par les guides de l’exposition, un portail s’ouvre vers le cœur de l’exposition, soit l’étape d’exploration spatiale à proprement parler. Pendant plus d’une demi-heure, on nous encourage à nous promener librement au sein d’une reproduction à l’échelle de la Station Spatiale Internationale au sein de laquelle des bulles lumineuses sont parsemées. Ce sont elles qui recèlent les contenus vidéo 360° filmés à bord du laboratoire orbital grâce aux caméras construites à l’interne par les équipes techniques de Felix & Paul. Ces contenus vidéo (3DoF, donc immersifs mais pas interactifs) sont divisés en quatre chapitres qui organisent les témoignages des astronautes des différentes agences spatiales en thématiques communes (adaptation, progrès, unité, expansion). Ces chapitres sont aussi entrecoupés d’intermèdes, dont une séquence surnommée le « ballet cosmique ». Il est à noter que la quantité et la durée de ces contenus dépassent largement les trente-cinq minutes allouées à l’exploration libre de la station. Il y a donc de quoi faire plusieurs visites de l’exposition.
Rendu de l’exploration libre de L’INFINI.
Source : PHI.ca
Avatars de L’INFINI.
Source : PHI.ca
Libre cours à l’exploration
Puisqu’il est impossible de tout voir en une seule visite — après quatre visites je découvrais encore de nouvelles séquences — je vous encourage à sortir des sentiers battus et à traverser d’une capsule à l’autre en passant par le vide intersidéral. Vous n’aurez pas à vous soucier du manque d’oxygène, mais faites tout de même attention de ne pas bousculer les dizaines d’autres personnes qui circulent elles aussi aveuglément dans cet espace. Heureusement, les équipes techniques derrière l’exposition ont développé un ingénieux système de suivi qui permet d’identifier les gens qui nous entourent; d’abord à peine perceptibles comme des boules de lumière, ceux-ci se matérialisent en avatars étoilés quand vient le temps d’éviter les collisions.
Ce système permet à plus d’une centaine de personnes à l’heure de se croiser sans jamais se bousculer. Les groupes d’amis, les familles et les couples pourront aussi se reconnaître grâce à leur teinte orangée qui les distingue des autres personnes, pour leur part représentées par des avatars bleus. Par le fait même, celles et ceux qui se sentiraient moins à l’aise avec la réalité virtuelle et le principe d’exploration libre à l’aveugle que propose L’INFINI peuvent compter sur l’accompagnement d’un proche pour les guider. Coline Delbaere (Productrice, expérience interactive) m’explique à cet effet qu’il n’est pas rare de voir des couples se tenir par la main pour la durée du parcours.
Une vue à couper le souffle
Une fois la phase d’exploration spatiale terminée, un chemin lumineux nous guide vers la quatrième composante du parcours, soit la séquence filmée depuis la coupole panoramique décrite en début de texte. Accompagnée d’une musique orchestrale inspirante digne des meilleurs films de science-fiction, cette séquence vidéo propose une série de plans-séquences en vue plongeante sur la surface terrestre. Parfois, on y voit des territoires bien familiers — le lac Manicouagan et l’île René-Levasseur sont particulièrement faciles à reconnaître, de même que la pointe de la Gaspésie et les contours de Terre-Neuve — alors que parfois, on ne voit que des paysages à perte de vue, parsemés de nuages. Quelles que soient les images qu’on nous montre, une seule chose demeure : l’effet de surplomb et l’incroyable remise en contexte de notre place dans le monde et dans l’univers qu’il impose. Il y a de quoi être ému.
Source : PHI.ca
The Universe within the Universe (Ryoji Ikeda, 2021).
Source : PHI.ca
Le choc du retour
La portion en réalité virtuelle maintenant terminée, le parcours se poursuit avec un trio d’installations immersives qui mettent en scène un retour sur terre. La première et la plus tape-à-l’œil des trois et une installation d’art vidéo signée par l’artiste Ryoji Ikeda. Intitulée, The Universe within the Universe, l’installation prend la forme d’une pièce munie d’un miroir circulaire au sol — tel un trou noir — et d’un plafond entièrement composé d’écrans DEL qui illuminent la salle au gré des images d’inspiration scientifique qui défilent. L’effet éblouissant de l’esthétique propre à l’artiste visuel — marquée par le clignotement de matières numériques brutes — est potentiellement choquant suite à l’exploration spatiale tout en douceur qui marquait la première moitié de l’exposition. Malgré le potentiel choc visuel, Universe demeure une installation épatante qui complémente bien le souci d’exploration spatiale et la fascination pour la lumière qui nous accompagne depuis notre entrée dans l’usine convertie qu’occupe l’exposition.
Rendu artistique du retour sur terre de L’INFINI.
Source : PHI.ca
Portail d’entrée de L’INFINI.
Source : PHI.ca
Le parcours se poursuit avec DARKMATTER: Hypothetical form, supersymmetry de George Fok, une œuvre qui consiste en un corridor bordé de miroirs et d’écrans mettant en scène un vortex qui nous ramène sur terre. Celle-ci est représentée par la dernière installation lumineuse de l’exposition, une pièce sombre dans laquelle un rayon de lumière venu du ciel trahit le retour en force de la nature.
Dans la veine d’installations telles La poursuite du temps (aussi de George Fok) qu’on avait pu voir au Centre PHI dans le cadre de l’exposition Émergences et convergences, ces deux derniers espaces nous immergent dans un autre espace-temps grâce à leur utilisation de la lumière. Je ne serais pas surpris qu’on en retrouve des tonnes de photos sur les réseaux sociaux dans les mois à venir.
De retour sur terre
L’INFINI est un tour de force en matière d’exposition immersive et un exemple à ce jour incomparable dans le monde la réalité virtuelle. Outre les contenus vidéo 360° filmés dans l’espace qui sont impressionnants en soi et qui se sont déjà mérités de nombreux prix à travers le monde, c’est le mariage entre les différents paliers de l’expérience qui met cette exposition à part, que ce soit du domaine de la réalité virtuelle ou du monde des installations immersives et interactives. Depuis la phase d’embarquement qui donne le ton pour le reste de l’itinéraire jusqu’aux installations lumineuses qui nous raccompagnent sur terre en fin de parcours, le tout est pensé pour accompagner le public à travers une exploration quasi-mystique de l’espace. Annabelle Fiset (Directrice de la création) explique justement qu’il a fallu effectuer un travail de scénographie considérable afin de marier les différentes composantes du spectacle, incluant des contenus autant 3DoF que 6DoF, plusieurs installations audiovisuelles, ainsi que des éléments logistiques qui ne pouvaient pas être ignorés.
Mentionnons par exemple la station de traitement des casques qui permet à tous les appareils remis à la sortie du spectacle d’être désinfectés et préparés pour les prochains groupes, un processus qui fonctionne si bien qu’il serait facile de le perdre de vue. Ajoutons à cela la présence d’accompagnatrices et accompagnateurs qui assurent le bon roulement de l’exposition en général et de la phase d’exploration libre VR en particulier. Tout est conçu pour assurer que l’expérience soit fluide du début à la fin, un succès en soi si l’on considère l’état encore expérimental des technologies de réalité virtuelle d’aujourd’hui.
Cela contribue à l’impression que, pour plusieurs, L’INFINI pourrait servir de porte d’entrée vers le monde de la réalité virtuelle. Comme l’explique Pierre Blaizeau(Chef de la technologie, expérience interactive), l’un des buts de l’exposition est de rendre la réalité virtuelle plus accessible, notamment auprès d’un public plus large pour qui L’INFINI risque d’être la première rencontre avec cette technologie encore relativement nouvelle. Avec un sujet populaire comme l’espace, on peut s’imaginer qu’une majorité du public, d’abord attiré par le sujet, risque aussi de découvrir ce nouveau médium pour la toute première fois. Cela ajoute une part de responsabilité aux studios derrière cette exposition.
Un grand pas pour la communauté XR
À plusieurs égards, les équipes de Felix & Paul et PHI sont des pionnières. Or, comme Mads Damsbo (Makropol) nous l’a raconté dans le cadre de notre Enquête sur la Distribution XR : « Un pionnier ne sert à rien s’il ne revient pas pour nous raconter ce dont les choses ont l’air là-bas. Ça ne sert à rien d’être le premier arrivé si ce n’est pas pour guider les autres ». J’espère donc que PHI, Felix & Paul et toutes leurs équipes pourront continuer à défricher le terrain et à nous partager leurs découvertes, de sorte que L’INFINI représente un grand pas pour l’ensemble de la communauté XR.
Entre temps, j’espère aussi que de plus en plus de gens pourront découvrir la réalité virtuelle à travers cette exposition éblouissante. Ne ratez pas votre chance de faire l’expérience de cette exposition immersive incomparable, présentée du 21 juillet jusqu’au 7 novembre 2021 à Arsenal Art Contemporain Montréal.